« Qu’est-ce que tu deviens ? » C’est une question familière. Une formulation belle, bien que quelque peu démodée. Mais c’est une belle question pour aujourd’hui. Qu’est-ce qu’on devient ?
Dans ce théâtre historiquement fondé sur l’identitaire, ce théâtre du « qui l’on est », peut-être est-il plus juste de parler maintenant du théâtre de « ce qu’on devient ».
Et que devenons-nous justement aujourd’hui ?
Nous sommes confrontés à des bouleversements sociaux, culturels, économiques, environnementaux et générationnels qu’il faut reconnaître. Nous vivons nos journées au cœur d’un mouvement qui propulse à l’avant-scène la convergence des luttes pour l’égalité des chances, la visibilité des marginalisés et la justice entre les nations et les sexes. Les révoltes se multiplient et cherchent des alliés. On se croirait presque à la fin des années 1960, tant il reste encore à faire, à corriger et à apaiser. Des combats inachevés retournent dans la centrifugeuse, accélérant leurs particules…
Le monde d’aujourd’hui est si rapide qu’il exige l’action immédiate. Mais il va plus vite que toute tentative d’analyse. Il est difficile à saisir, difficile à regarder et à écrire. Il y a toujours soi comme référence, comme valeur refuge. Mais que devenons-nous, aujourd’hui ?
Nos vies sont racontées à ciel ouvert, partout, même au théâtre. Elles font l’objet d’un laboratoire dans lequel nous sommes panique et fatigue. On ne cache plus ses pleurs et ses peurs. Et par conséquent, tout le monde affiche le moindre effort, la mince consolation comme un trophée du jour. Notre souffle est court. On devient obéissance ou ahurissement, sursaut ou découragement. Nous devenons la somme de nos distractions et de nos réactions. On s’anéantit le matin et on espère le soir. On est nerveux et tenaces par moments, puis on s’éclipse rapidement. On tremble aussi. Et de cette posture vulnérable, on perd confort et repères, on se tend. Nous sommes prêts à écouter pourtant, pour nous accrocher. Mais nous nous y perdons souvent. Nos bouées ne sont pas si fiables. Nous devenons quotidiennement le discours de quelqu’un d’autre et le théâtre qui se fabrique n’y échappe pas.
L’agitation du monde est telle qu’il échappe à ceux qui le créent et à ceux qui tentent de l’écouter.
J’ai donc besoin de me reposséder. J’ai besoin de l’air frais du libre arbitre, d’un bain de santé qui apaisera cette mutation brutale. Face à cette crise multiple qui s’infiltre et qui nous laisse nous débattre, face à ces bouleversements majeurs qui éveillent et appellent à une action rapide, je veux pour ma part offrir l’apesanteur, la dignité, le rapprochement, la promesse de l’écoute, et la jubilation du théâtre que nous créons.
Mes mains sont prêtes à ressentir les brûlures et les silences, à capter la vitalité, la joie et l’effervescence qui animent le monde, comme si je le découvrais pour la première fois.
Cette saison, ce sont des possibilités de transformation qui vous sont proposées : des initiations, des passages, des chemins, des options, des fabrications, des créations.
L’usure et l’effarement du monde sont tels qu’il n’y a que la réactivation qui est possible. Les bases sont rongées. Il faut construire à côté de soi.
– Sylvain Bélanger, directeur artistique