Marina, le dernier rose aux joues
Michèle Magny
D’après la vie et l’oeuvre de Marina Tsvétaéva, une création du Théâtre d’Aujourd’hui
Salle principale
2 au 29 avril 1993
Texte
Mise en scène
Marina Tsvétaéva, poète russe, à la veille de son départ pour Moscou en 1939 après un exil de dix-sept ans, se remémore, dans un long flashback, sa rencontre amoureuse avec des acteurs et une actrice pendant la révolution russe. C’est un hommage à l’amour et à l’amitié dans un monde dramatiquement en changement. Sonne l’heure des départs pour une destination dont on ne revient pas.
Interprétation
Mot de l’auteure
Pourquoi choisir comme sujet d’une première pièce une poète russe du nom de Marina Tsvétaéva, née à Moscou en 1892 et morte dans un petit village du bout du monde en 1941 ? Parce qu’un jour mes yeux se sont posés sur des mots écrits par la poète, et ses mots ne m’ont plus jamais quittée. Ces mots sont un cri lancé au-dessus des mers et des pays, par-delà le temps et les époques, par-delà les modes. Bouleversée par ces mots, chavirée par sa vie, je me suis enfoncée encore plus profondément dans l’univers surprenant qui est le sien, tragique dans sa finalité et troublant dans sa quête d’amour et de vérité.
Et j’ai écrit sur elle. À partir d’elle. D’après elle. Tirés d’elle, à tire-d’aile, n’importe, ses mots m’ont donné des ailes. J’ai inventé des situations, utilisé des extraits de son roman théâtral Histoire de Sonetchka, de son Journal du temps de la Révolution, et de ses poèmes. Étonnée par mon audace, j’ai construit une forme théâtrale à partir de ses mots, qu’elle a laissés en héritage au monde entier, et j’ai tenté d’englober son univers et de répondre, du même souffle, à mon désir d’affirmer des choses à travers elle.
Marina Tsvétaéva donne son âme à voir. Elle l’expose à nu. Cette âme-là ne s’apprivoise pas, elle s’intériorise. C’est inquiétant de voir l’âme de quelqu’un qui vous révèle en même temps la vôtre. C’est troublant, envahissant jusqu’à l’obsession. Rainer Maria Rilke en a fait l’expérience, lui à qui elle a offert son âme comme on donne son sang, et puis Pasternak, à qui elle a donné son âme comme un oiseau s’offre au chasseur, et combien d’autres !
Elle est encombrante, provocante avec son âme, elle nous force à entrer à l’intérieur de nous-même et, sans fard, à nous interroger sur l’amour, la vie, la mort. Parlez-en à Élise Guilbault qui va la jouer avec son âme tous les soirs, parlez-en à Anne Dorval et à Emmanuel Bilodeau qui, tous les soirs, devront pactiser avec son âme et la leur, parlez-en à Martine Beaulne qui a dirigé les mouvements de l’âme de chacun d’entre eux et composé avec la sienne. Vous verrez, vous comprendrez pourquoi je ne pouvais pas rester toute seule avec cette âme, eux non plus d’ailleurs, et pourquoi on a eu envie de partager le trop-plein d’amour de ce poète qui donne son âme à voir. Et tant pis si, par ricochet, on découvre un petit pan de ce que je suis, et tant mieux si, ce soir, deux comédiennes et un comédien vous révèlent eux aussi des choses sur eux, sur elle, sur nous. Oui on a eu envie de faire connaitre aux gens d’ici une poète moderne et actuelle, dans ce beau Théâtre d’Aujourd’hui qui parle d’aujourd’hui, d’ici et de maintenant, quelquefois d’autrefois, tout en étant ouvert à l’ailleurs…
Petit paragraphe lu dans Histoire de Sonetchka, où Marina dit ceci, en pensant à Sonetchka, l’autre héroïne de la pièce, qui est sur le point de partir : « […] des profondeurs de mon ouïe, je ne sais d’où me parvient le mot règne ? Du Canada où, jusqu’à présent, à la place de la vie, on dit règne au sujet de la vie humaine. La vie la plus humble, la plus pauvre, la vie d’un bucheron ou d’un flotteur de bois — est un règne… Mon règne. Ton règne. C’est ainsi qu’en canadien-français, ce qui restait de cette vie-là de Sonetchka, dans la continuité de toutes les autres vies, aurait été un règne, la fin de son règne. C’est un grand peuple qui appelle ainsi la vie. »
À bien y penser, c’est peut-être à cause de cela que j’ai pris la liberté d’écrire sur une poète qui parlait ainsi de nous. Merci Marina, merci à toute l’équipe et à Michelle Rossignol qui a permis que, ce soir, on parle de vie.
Michèle Magny
Mot de la metteure en scène
Fin avril 1979.
En route pour Moscou par le Transsibérien, après trois jours de traversée depuis Yokohama. Sur la banquette, en face de moi, une dame d’une cinquantaine d’année sirote un thé. Je remarque ses yeux bleus qui expriment tant de nostalgie. Elle retourne chez elle, après trois semaines de cure dans une maison de santé. Soudain, un train empli de jeunes soldats, en route pour les frontières russo-chinoises, croise notre wagon. Une tension énorme envahit tous les passagers. La dame agite alors un mouchoir blanc et s’effondre en larmes sur son banc. Et la voilà qui s’indigne contre la politique de son pays, contre la bêtise humaine, contre cette terre ingrate et austère, contre la misère et le froid. Elle est lasse et révoltée. Je respecte son indignation et, dans le silence qui suit, je regarde cette terre sibérienne avec plus de sensibilité.
Au coucher du soleil, on annonce que nous passerons devant le lac Baikal, richesse naturelle et fierté du peuple russe. La dame se précipite à la fenêtre et à la vue de tant de beauté s’écrie : « Ma terre, mon pays, ma vie. »
Je comprends alors toutes les contradictions de l’amour et combien la beauté et le sentiment d’appartenance sont nécessaires pour vivre. Le temps s’est soudainement arrêté et j’ai cru percevoir l’éternité. La dame m’a semblé retrouver un peu d’espoir, pouvant ainsi envisager sa prochaine destination.
Je dédie ce spectacle à cette dame qui m’a fait connaitre sa Russie.
Martine Beaulne
Actualités
Livres
14 juillet 2016
Marina, le dernier rose aux joues
Michèle Magny
Leméac – Actes Sud
Équipe de création
Assistance à la mise en scène et régie
Scénographie et accessoires
Costumes
Éclairages
Conception sonore
Maquillages et coiffures
Leçon d’anatomie
Larry Tremblay
Salle principale
11 septembre au 4 octobre 1992
La chambre blanche
Ginette Laurin
Salle principale
22 octobre 1992 au 1er mai 1994
La terre est trop courte, Violette Leduc
Jovette Marchessault
Salle principale
13 novembre au 6 décembre 1992
Le cerf-volant
Pan Bouyoucas
Salle principale
5 au 28 février 1993
Abonnement
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