La trilogie des Brassard
Michel Tremblay
Une production du Théâtre d’Aujourd’hui
Salle principale
27 septembre au 17 novembre 1991
Texte
Mise en scène
Présentation en alternance des trois pièces de Michel Tremblay
À toi, pour toujours, ta Marie-Lou,
Sainte-Carmen de la Main et
Damnée Manon, Sacrée Sandra.
Interprétation
Mot de l’auteur
Comment se construit une famille
Il est évident que La trilogie des Brassard n’a pas été planifiée d’avance. De toute façon, je vous dirais le contraire que vous ne me croiriez pas. J’ai d’abord eu envie, après les événements d’octobre ’70, d’essayer de placer une bombe dans la cellule familiale telle que nous l’avions connue jusque là. J’ai donc inventé une famille de quatre personnages dont les parents, Marie-Louise et Léopold, représenteraient jusqu’à un certain point le Québec au passé avec ses frustrations et son ignorance, et chacun des deux enfants, Carmen et Manon, deux projections du Québec dans l’avenir : j’ai fait de Carmen une femme libérée qui prend sa vie en mains et de Manon une victime du passé qui veut rester confite dans la religiosité de sa mère.
Après la création de cette première pièce, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, et à force d’en parler avec Brassard (vous savez tous l’importance qu’il a dans le développement de mon théâtre) j’ai commencé à avoir quelques doutes sur le personnage de Carmen. Dans Marie-Lou, elle a raison : elle ouvre la porte, sort de sa famille qui l’étouffait, laisse sa soeur derrière elle, se libère. Mais cette porte est-elle la bonne ? Si on y regarde de plus près, la réponse est non. On peut se dire que Carmen, au moins, a ouvert une porte mais, à bien y réfléchir, c’est la mauvaise porte : pour se libérer, elle se déguise en quelqu’un d’autre, elle emprunte la culture de quelqu’un d’autre en interprétant dans de mauvaises traductions françaises des chansons western, habillée en cowgirl.
L’idée d’une deuxième pièce est venue de là : faire prendre conscience à Carmen qu’on peut être quelqu’un sans se sentir obligée de copier ce qui existe déjà ailleurs. Sainte-Carmen de la Main est donc à la fois une pièce sur la place de l’artiste dans la société (un artiste existe-t-il uniquement pour amuser les autres ou n’est-il pas aussi porteur de messages?) et sur l’affirmation de soi-même (même si je suis un Nord-Américain, je ne suis pas obligé d’en revêtir un des costumes les plus folkloriques et devenir ainsi une caricature mais je peux très bien m’en fabriquer un moi-même, qui me ressemble à moi, qui correspond à qui je suis). Carmen dit à la fin de la pièce qu’à l’avenir elle chantera « des paroles d’elle pis de la musique d’elle ».
Mais comme je suis un défaitiste né et que je crois que rien de ce qu’on peut dire ou faire au Québec n’est important pour très longtemps, j’ai fait de cette pièce une tragédie et j’ai tué mon héroïne pendant qu’elle était encore pure, avant qu’elle ne se laisse récupérer par la « gloire » et la « fortune ». Et, ironie du sort encore plus cruelle, Carmen ne meurt pas vraiment parce qu’elle est devenue dangereuse pour ses employeurs qui exigent qu’elle se contente de faire de beaux « yoodles » plutôt que d’imposer des messages à son public, mais parce qu’elle s’est un jour moquée de la petitesse des attributs masculins d’un sous-fifre de la pègre, le si bien nommé Tooth-Pick, qui profite du danger qu’elle représente pour assouvir une vengeance personnelle. Elle n’est donc pas une vraie martyre et son souvenir s’écroule immédiatement après sa mort dans une campagne de salissage très bien orchestrée par l’affreux Tooth-Pick. Après la disparition de Carmen, c’est comme s’il ne s’était jamais rien passé. (Je laisse ici à chacun le loisir d’interpréter la fable politique qui se cache aussi sous tout ça.)
Évidemment, tout de suite après avoir écrit Sainte-Carmen, j’ai pensé à Manon, sa soeur, que j’avais abandonnée à genoux au milieu de la cuisine de ses parents depuis si longtemps et qui piaffait d’impatience quelque part au fond de mon âme. La troisième pièce, Damnée Manon, Sacrée Sandra, m’est venue de deux besoins très différents : décrire la chute, ou la montée, de Manon dans une religiosité mystico-érotique pour conclure la saga de sa famille, oui, c’est vrai, mais aussi, et très égoïstement, parce que j’avais envie, après onze pièces qui étaient toutes reliées les unes aux autres, de dire à tout le monde que tout ça, en fin de compte, n’était que du théâtre, que rien n’était vrai, que tout provenait de la tête d’un petit garçon qui s’appelle Michel et qui voudrait, sans y parvenir, déclarer son amour et proclamer son indignité au monde qu’il a connu et qu’il pille sans vergogne. J’ai essayé de le faire à travers les deux besoins fondamentaux de l’être humain, Dieu et le cul, et j’ai terminé la trilogie dans une espèce de schizophrénie où les deux personnages, Manon-la-pieuse aux rêves érotiques et Sandra-la-vicieuse aux envolées mystiques, se fondent en une seule et même âme. Une double rédemption en même temps qu’une double chute.
On m’a demandé de parler de La trilogie des Brassard, c’est comme ça que je la vois. Mais que ce petit article ne vous empêche surtout pas de penser ce que vous voulez !
Michel Tremblay
Mot du metteur en scène
Il est bien sûr qu’on ne peut ignorer le commentaire politique et social de cette Trilogie : la fin de la Grande Noirceur, les choix offerts à la jeune société, l’élan collectif altruiste et nationaliste des années ’70 puis le repli sur soi qui a suivi le référendum…
Mais la fréquentation de ces textes dans ces nouvelles circonstances fait apparaitre autre chose : on a l’impression que le politique et le social servent de toile de fond à une quête d’identité de l’âme aux prises avec des images culturelles ancrées profondément au-delà de notre conscience.
Comment trouver notre « place » entre ces deux pôles du Masculin et du Féminin ? Entre l’Europe et l’Amérique ? Entre le « Je » et le « Nous » ? Entre le Passé et l’Avenir ? Entre Agir et Méditer ? Entre Adoration et Sacrilège ?
Je crois qu’il est important de poser ces questions en ces temps où peut-être nous trouverons le courage de nous « faire un pays ».
Je ne suis pas certain que la solution trouvée par Manon soit dans l’absolu la « bonne » comme on dit… Mais comme toujours, on peut se dire que si nous n’aimons pas l’image du Monde que nous renvoie le dramaturge, nous n’avons qu’à changer le Monde.
Bonne Soirée.
André Brassard
Actualités
Images
26 septembre 1991
La trilogie des Brassard
Équipe de création
Assistance à la mise en scène et régie
Scénographie
Costumes
Accessoires
Éclairages
Conception sonore
Maquillages et coiffures
L’histoire de l’oie
Michel Marc Bouchard
Salle principale
22 novembre 1991 au 21 mai 1994
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