Corps célestes
Dany Boudreault
Une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et de La Messe Basse
Salle principale
21 janvier au 15 février 2020
2 h 00 sans entracte
Texte
Mise en scène
Dans un futur aux allures de dystopie, une guerre pour le pétrole fait rage. Alors que la menace d’une marée humaine venue du Nord gronde, Lili retourne dans sa maison natale. Après quinze ans d’absence et une carrière de réalisatrice de films pornographiques, elle y retrouve sa mère, sa sœur ainée, l’un de ses anciens amants et son neveu Isaac, adolescent à la lucidité exacerbée.
Édith Patenaude met en scène cette partition d’une rare précision de Dany Boudreault. Corps célestes déjoue la morale et explore la genèse de nos désirs et des pulsions qui nous gouvernent. La pornographie devient prétexte à parler de la sexualité comme d’une quête d’élévation, d’harmonie entre le corps et l’esprit.
Mot de l’auteur
JOUIR AUTREMENT
Je ne crois pas aux étincelles pour écrire. Je crois aux feux latents qui couvent et crépitent. Ce que nous écrirons est déjà écrit en nous. L’exercice est une simple purge, et le moment de cette purge procure une jouissance. La jouissance est différente du plaisir. Elle est un alliage de joie, de douleur et de grande détente. Il y a eu ce moment de jouissance lors de l’écriture de Corps célestes. Une jouissance qui se raffine, une douleur revisitée au fil des versions.
J’ai rêvé d’écrire un texte normal, où des personnages se parleraient dans des situations normales. Une pièce-machine normale. Évidemment, la machine a déraillé, les personnages ont pris le dessus, et ils ne sont pas normaux. Les situations leur ressemblent, anormales. Cette pièce me ressemble, elle veut être normale, mais elle échoue, et cet échec la fonde.
Je sens depuis très longtemps un manque abyssal que je ne sais pas comment combler. Je ne prétends pas être unique : je soupçonne tout le genre humain de percevoir ce gouffre invisible, de ne pas savoir s’il doit résister ou céder à son appel. Comment satisfaire cette pulsion dévorante ?
J’ai rêvé d’une pièce-trou, d’un futur proche où la forêt avalerait tout, où les êtres seraient ces sujets désirants sans objets de désir précis. J’ai rêvé d’un texte où la pensée trébuche, où le souffle se casse, où les personnages peineraient à nommer ce qu’ils ressentent tout en s’y acharnant avec le peu de mots dont ils disposent, inexorablement. Nous sommes si démunis devant la vastitude de nos sensations.
J’ai rêvé d’un texte où la langue serait aussi architecturée que la morale. Un texte-corset, une partition mesurée trouée d’éclaircies, peuplée d’accidents de corps, d’humour spontané. Un texte où il y a la guerre, une guerre que se livrent le corps et l’esprit. La guerre comme une danse.
Personne ne m’a enseigné à faire danser mon intimité avec celle des autres. Étymologiquement, l’intimité, c’est ce qui se tourne vers l’intérieur, ce qui ne peut être pillé. Mais quand j’entre en contact avec l’autre, en contact véritable, je suis nécessairement « pillé ». Comme le personnage d’Isaac, j’ai appris « sur le tas ». Mon cas n’est pas original. Je l’ai appris à mes dépends, je me suis fait mal, me suis relevé, me relève encore indéfiniment.
J’ai voulu parler d’une maison au milieu d’une forêt. Une maison de cri et de désir. J’ai été élevé dans une vieille maison de campagne. Je me perdais dans les dédales de ses environs. J’y entendais sourdre le désir. La maison était si grande et le terrain si étendu qu’il fallait crier pour se retrouver. Pour manger, vivre, se battre et s’aimer. Malgré la promiscuité, ma famille et moi oubliions que nous pouvions parler doucement. Alors nous criions, à s’en époumoner. Que ce soit pour appeler les vaches ou pour vivre. Une maison de cri et de désir.
J’ai rêvé d’un texte qui parle du désir féminin. Un texte où le personnage féminin ne serait pas l’objet du désir, mais le sujet désirant. Je ne suis pas dupe : un homme qui aborde le désir féminin parle toujours du sien. Malgré tout, je me suis fait un devoir d’explorer une sexualité féminine épanouie et saine, à travers le personnage de Lili. Trop souvent le théâtre nous présente une sexualité fondée sur le dégoût, aliénée, comme celle exposée dans le monologue « Maudit cul » de Rose Ouimet dans Les belles-sœurs. Tremblay y dénonce avec brio et sensibilité le viol conjugal. Après des millénaires de ségrégation, comment célébrer une sexualité féminine positive sur nos scènes ? Existe-elle ? Le désir féminin, je l’ai observé longtemps chez ma mère, mes ex-copines alors que j’en avais, mes amies, mes sœurs. À distance. Tout comme l’anglais du personnage de James est une langue que je revêts avec distance. Cette distance me rapproche de moi, de ma voix.
La révolution sexuelle est en marche, mais elle n’est toujours pas advenue. Aujourd’hui, l’écart se creuse. Plus la morale se raffine, plus l’interdit se radicalise. Plus la sexualité est absente du débat public, plus l’entreprise privée l’absorbe et l’instrumentalise à des fins publicitaires. « If the fruit were not forbidden, would anyone care to take a bite ? » [1]
L’image que la société nous renvoie de la sexualité ne nous élève pas. La culpabilité nous freine, comme le réflexe fantôme d’une morale bigote dont nous avons hérité. L’éducation sexuelle a été mise au rancart pendant une dizaine d’années dans nos écoles, elle revient à peine, timide, entre un cours d’histoire et l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir.
Je crois en la puissance de la sexualité. Mais ma connaissance en est si réduite. Il s’agit d’une langue étrangère. Quand je crois la connaitre, un nouveau pan se révèle et je me sens idiot, désarmé. Quiconque s’expose à cette puissance peut s’élever, mais risque l’anéantissement. J’ai rêvé d’un texte où ces possibilités cohabitent.
Ce texte est pour moi la zone de combat où je lutte jour après jour. J’aimerais transformer la morale, la soumettre et, en même temps, rattraper le temps perdu à souffrir pour rien à force de me fracasser contre tout ce que j’ignore.
J’ai rêvé d’un texte où l’existence ne serait pas uniquement génitale. C’est un rêve que je fais tous les jours. Celui de retarder l’orgasme du départ, de rester après la mort du désir, dans le service après-vente de nos corps ensemble.
Je rêve de jouir autrement.
Pour aimer plus.
Dany Boudreault
[1] Candida Royalle est une actrice de films pornographiques, réalisatrice et productrice américaine.
Mot de la metteuse en scène
S’engouffrer.
C’est ce qu’il fallait faire.
Mettre le pied dans l’inconnu, puis tout le corps et se laisser aspirer.
Espérer les ouvertures, les trous, les troubles.
Peu de mots restent à ajouter. Le texte en déborde. Des perles noires qui n’ont pas besoin d’être expliquées, qui convoquent le sacré et le trivial. Entre les pulsions souterraines et l’appel mystique, l’espace s’étire en un vortex gorgé de possibles que je serais bien folle de vouloir réduire en quelques lignes pour lubrifier une compréhension plus simple. Je refuse de vous ravir la beauté jouissive du mystère, d’une connaissance intime plus profonde, plus intuitive, plus ancestrale des choses passées, présentes et à venir.
Le monde est dense et en apparence opaque.
Mais soyons doux.
Il n’y a pas de rigidité à y avoir, la seule douleur à rencontrer ici porte en elle son plaisir.
Vos corps présents, ici rassemblés, n’aurons jamais été aussi précieux pour moi qu’aujourd’hui. Car ce sont à eux, nos corps oubliés, mais pourtant sages et vibrants, qu’il revient enfin de comprendre ce que nos simples têtes ne savent plus.
Je remercie l’équipe, qui a trouvé la délectation dans l’enfoncement, qui a cherché en aveugle dans le revers du connu, vers ce qui nous dépasse et nous pétrit.
Merci à Dany, car ce récit magistral nous donne enfin le droit à l’abandon.
Il nous traverse et nous n’y pouvons rien.
Quel bonheur.
Édith Patenaude
Extraits de critiques
« […] Du théâtre contemporain intense, qui vaut son pesant d’or. »
Jean Siag, La Presse
« Abordant d’un seul souffle l’état du monde et la souffrance des êtres, la pièce est portée par un riche rapport à la langue. Il y a des mots qu’on ne prononce pas, et qui sont d’autant plus percutants. »
Christian Saint-Pierre, Le Devoir
« Une proposition très audacieuse ! »
Katerine Verebely, Samedi et rien d’autre, ICI Radio-Canada
« En renvoyant dans sa famille une réalisatrice de films pornos, centre de tous les désirs (Julie Le Breton), le dramaturge oppose la voie de l’union sexuelle quasi tantrique à la mort qui rôde. S’il faut disparaître, vivement que le moi s’efface et que les sens s’enflamment ! »
Odile Tremblay, Le Devoir
« Le texte de Dany Boudreault contient quelques perles et son rythme plaît à l’oreille. La sexualité y est souvent abordée avec intelligence et originalité. La trame se déroule rondement et la mise en scène est pigmentée d’ingéniosités. »
Emmanuel Martinez, Le Journal de Montréal
« Les acteurs sur scène sont d’une grande authenticité, chacun engagé dans la tempête intérieure de son personnage, transparents et éblouissants devant le public. La pièce Corps célestes est une oeuvre théâtrale d’où personne ne ressort indemne ni sur scène ni dans la salle. Du très grand théâtre ! »
Élizabeth Bigras-Ouimet, Atuvu.ca
« Corps célestes est un texte ambitieux et provocant, une pièce almanach où on trouve tout et encore plus. J’en ai retenu qu’il est rare que nos besoins soient parfaitement comblés et que le romantisme est plutôt un empêcheur de tourner en rond. Mais d’abord et avant tout que la sexualité devrait être un vecteur de joie dans la vie en plus de constituer, si on est chanceux, un voyage au bout de l’inouï. »
Marie-Claire Girard, Théâtre Cambrésis
« C’est le récit d’une quête de sens, d’affection et d’acceptation morale. Une expérience inédite qui bouleverse les cinq sens. »
Andréa Spirito, Montreal Campus
« L’auteur voulait que Corps célestes soit « un texte où il y a la guerre, une guerre que se livrent le corps et l’esprit ». Il réconcilie ainsi les personnages à leur propre corps. Tout dans la mise en scène et l’écriture fonctionne dans cette idée. La manière dont les corps des acteur·rice·s bougent semblent chorégraphiée, millimétrée. Leurs mouvements sont fluides, comme s’ils·elles dansaient. Le texte est brillamment écrit, il sonne juste. »
Niels Ulrich, Le délit
« Cinq comédiens bien ancrés dans leur rôle se donnent la répartie avec énergie en soulignant la vivacité du texte. »
Micheline Rouette, ARP.Media
« La langue de Boudreault se fait charnelle dans Corps célestes, explorant les contours de l’amour à travers ses personnages aux corps tantôt tendus, envieux, abandonnés, charcutés, insatiables ou prodiges. »
Daphné Bathalon, Montheatre
« Cette famille à la dynamique pour le moins inquiétante est aussi fascinante que peut l’être un carambolage. On veut détourner le regard mais on ne peut s’empêcher de les suivre. »
Yanik Comeau, Théâtralités / Zone Culture
La Messe Basse
Une « messe basse » est un aparté entre deux personnes, une entreprise que l’on prépare en secret, un certain retrait du monde. La « messe » est aussi une cérémonie où la communauté est conviée. La messe « basse » ramène à l’univers souterrain, à ce qui nous échappe.
Fondée en février 2012 par Jérémie Boucher, Dany Boudreault et Maxime Carbonneau, La Messe Basse est dédiée expressément à la création et à l’exploration d’écritures et de matériaux inédits au théâtre. Son modèle de codirection artistique permet de faire mûrir la parole artistique à travers un inconscient à plusieurs têtes et d’établir un rapport horizontal entre ses membres.
La Messe Basse désire repenser la pratique théâtrale et s’intéresse spécialement aux distorsions du langage, c’est-à-dire aux décalages, aux écarts, sur le plan textuel et esthétique. Cette compagnie est née de l’urgence de poser un regard neuf et singulier sur notre monde en mutation.
THÉÂTROGRAPHIE
- Les murailles, présenté au Théâtre Périscope, (2019)
- La femme la plus dangereuse du Québec, présenté à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, (2017)
- Siri, créé au Festival Transamériques, et présenté en reprise au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, (2016, 2017)
- Descendance (publié chez Instant scène, présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui / Gagnant aux prix littéraires du Salon du Livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean), (2014)
- (e), un genre d’épopée (publié aux Herbes Rouges, présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 2013 / Prix meilleur acteur Cartes Prem1eres), (2013)
Vidéos
31 janvier 2020
Bande-annonce
« Les acteurs sur scène sont d’une grande authenticité, chacun engagé dans la tempête intérieure de son personnage, transparents et éblouissants devant le public. La pièce Corps célestes est une oeuvre théâtrale d’où personne ne ressort indemne ni sur scène ni dans la salle. Du très grand théâtre ! »
Critiques
28 janvier 2020
Équipe de création
Assistance à la mise en scène
Scénographie
Costumes
Éclairages
Musique originale
Maquillages
Conseil au mouvement
Conseil artistique
Direction de production et régie
Constituons !
Christian Lapointe
Salle principale
12 au 30 novembre 2019
Éden
Pascal Brullemans
Salle Jean-Claude-Germain
19 novembre au 11 décembre 2019
Made in Beautiful
Olivier Arteau
Salle Jean-Claude-Germain
14 janvier au 6 février 2020
M.I.L.F.
Marjolaine Beauchamp
Salle Jean-Claude-Germain
18 février au 7 mars 2020
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